Des anticorps de chameau pour soigner le Covid-19 ?
Marco Vignuzzi met au point, avec deux équipes de recherche de San Francisco et New York, de possibles médicaments contre le coronavirus. Propos recueillis par Baudouin Eschapasse
Ses travaux sur les maladies tropicales ont déjà valu à Marco Vignuzzi de nombreuses récompenses. Les découvertes réalisées par ce virologue d’origine italienne lui permettront-elles de décrocher d’autres prix ? C’est très possible, car ce chercheur, natif de Bologne, mais qui a vécu l’essentiel de sa vie au Canada, met au point, en collaboration avec plusieurs universités de San Francisco et de New York, des traitements révolutionnaires contre le coronavirus. Ses recherches, conduites au sein de l’Institut Pasteur à Paris, ont fait l’objet de plusieurs publications internationales depuis le printemps. Entretien.
Le Point : La science progresse vite dans sa connaissance du Sars-CoV-2. Il y a neuf mois, on ne comprenait pas grand-chose à ce nouveau coronavirus. On sait désormais que sa structure est complexe…
Marco Vignuzzi : Oui. Ce virus à génome simple est l’un des plus gros virus ARN [composé à base d’acide ribonucléique, NDLR]que nous connaissions. Il compte 30 000 bases ou « briques » génomiques, soit deux fois plus que le virus de la grippe saisonnière ou quatre fois plus que le virus de la poliomyélite. Cette famille de virus ARN rassemble la plupart des virus émergents. Tels le chikungunya, la dengue, le virus du Nil occidental, la fièvre jaune, Ebola ou encore la fièvre de Lhassa.
On a beaucoup dit que ce coronavirus avait muté. Qu’en est-il vraiment ?
Sa structure ARN à hélice simple [au contraire des virus ADN à deux hélices comme le virus de l’herpès ou de la varicelle, NDLR] lui vaut un taux de mutation supérieur. Ce qui veut dire qu’il est susceptible de muter plus facilement que les autres organismes à base d’ADN. C’est d’ailleurs la force de ces virus émergents et ce qui leur permet de sauter d’une espèce animale à l’autre, dont l’espèce humaine.
Cette capacité à muter est-elle inquiétante ?
Pas forcément. Quand on utilise le mot « mutation », on a souvent tendance à imaginer que cela équivaut à dire qu’un virus s’adapte à son environnement et que cela le conduit à se rendre plus dangereux. Ce n’est pas systématiquement le cas. La majorité des mutations qui interviennent sur ce coronavirus ne l’amènent pas à changer profondément de nature. S’il change à chaque fois l’une de ses 30 000 bases, cela ne modifie pas son mode d’action. Il se contente de « varier ».
S’il ne devient pas plus dangereux, est-il envisageable qu’il le devienne moins ?
Pas davantage. Aucune recherche, à ce stade, ne permet de l’affirmer.
Ce virus, en se reproduisant, change néanmoins à chaque génération. Les bébés virus sont différents de leur père. C’est bien ça ?
Oui. Comme deux jumeaux ne sont jamais intégralement identiques. Cette donnée est importante. Ce qui nous amène à parler ici, un peu, de phylogénétique… Ces variations n’ont pas d’effet important sur la nature du virus, mais en s’accumulant (constamment et régulièrement dans le virus), elles nous permettent d’établir ce que nous appelons un « arbre phylogénétique », ce qui pourrait être comparé à une sorte d’horloge moléculaire : un instrument utile pour nous permettre de déterminer depuis combien de temps le virus circule, quelles ont été les chaînes de transmission au sein d’un foyer d’infection et, au sens plus large, au sein de la population humaine. C’est grâce à ces « variations » que l’on sait, par exemple, quand et où le virus est passé d’un pays à un autre…
À quel moment les chercheurs peuvent-ils tirer profit de ces petites modifications qui interviennent lorsque le Sars-CoV-2 se multiplie dans les cellules ?
L’idée que mon équipe développe consiste à exploiter les erreurs qui peuvent intervenir dans le génome du virus, et ce pour empêcher cet agent infectieux de se propager. Il convient ici de distinguer deux types d’erreur que commet le virus en se reproduisant. La première consiste en une erreur de codage de l’une des 30 000 bases qui le composent. C’est comme si on se trompait de mot dans la rédaction d’un mode d’emploi. Parfois, cela empêche que l’on comprenne la notice. Parfois, ce n’est pas un gros problème, car le mot initial est aisément reconnaissable. L’autre erreur est plus importante : c’est ce que nous appelons dans notre jargon la « deletion ».
De quoi s’agit-il ?
Lorsqu’un virus se reproduit, il le fait à des dizaines, voire à des centaines de milliers d’exemplaires. Or, dans ce processus, il peut parfois sauter vers une autre partie du génome. Comme s’il sautait un paragraphe dans la notice dont je vous parlais tout à l’heure. Ou il peut encoder le message à l’envers : l’information apparaissant dans un ordre différent que dans le message original. Dès lors, le texte devient incompréhensible. De la même manière, le message génomique porté par ce nouveau virus devient illisible. Et, partant de là, moins efficace. C’est ce que nous appelons un « génome défectueux » (en anglais : a defective genomic imprinting). La découverte des « génomes défectueux » remonte aux années 1950. Leur utilisation à des fins thérapeutiques est explorée depuis dix ans, notamment dans le traitement de la grippe saisonnière. Des essais cliniques ont commencé à être conduits par Nigel Dimmock, à Warwick University, au Royaume-Uni.
Comment cela marche-t-il ?
Le virus défectueux ne produit plus certaines protéines qui lui sont parfois vitales. Ce qui conduit à l’empoisonner, si l’on recourt à une image. La technologie du « génome défectueux » consiste à repérer ces bouts de messages endommagés pour les retourner contre le virus initial. Notre but est d’utiliser les « maillons faibles » que constituent ces génomes pour affaiblir le coronavirus.
Cela aboutit-il à une stérilisation de la population virale ?
En quelque sorte. La réplication virale se bloque. On parle ici de technique de hijacking ou de « détournement ».
Cela pourrait donc permettre de soigner les malades. Où en est-on dans la mise au point de ce traitement ?
Nous parvenons très bien à faire de la culture cellulaire in vitro et à inhiber ainsi l’infection. Nous avons testé cette technique en modèle animal à l’hôpital du Mont Sinaï à New York, avec Benjamin tenOever et dans nos propres laboratoires, et les premiers résultats sont très encourageants.
Avez-vous d’autres études en cours pour traiter le Covid-19 ?
En collaboration avec l’université de Californie à San Francisco (UCSF), nous explorons, en parallèle, des molécules intervenant dans des médicaments déjà utilisés pour d’autres pathologies ou sur le point d’être mis sur le marché dans d’autres thérapeutiques. Ces travaux ont fait l’objet de deux publications dans Nature et Cell, pendant l’été.
Quelle est la suite ?
Nous poursuivons les essais cliniques.
De quelles molécules s’agit-il ?
L’une est désignée sous le nom de code PB28. Elle est de vingt à trente fois plus efficace que l’hydroxychloroquine in vitro. Reste à l’éprouver in vivo. Elle cible le récepteur Sigma 1, dont on a démontré l’importance dans l’infection par le Sars-CoV-2. Une autre molécule est connue sous le nom d’apilimod. Elle cible une kinase spécifique [c’est-à-dire une enzyme capable d’activer ou de catalyser une autre enzyme, NDLR]. Là encore, son efficacité sur les cultures cellulaires du virus est impressionnante. Nous sommes, enfin, sur le point de publier un nouvel article sur des anticorps un peu particuliers.
Qu’ont-ils de spécifique ?
Ils entrent dans la famille des nanobodies ou nanocorps (en ce sens que ce sont de minuscules anticorps), produits, notamment, chez certaines espèces animales comme les chameaux, les lamas, les alpagas ou les requins. Leurs propriétés neutralisantes face au Sars-CoV-2 sont incroyables. Reste cependant à régler une question galénique et à affiner, notamment leur formulation.
Source: www.lepoint.fr
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